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Les paradoxes dans l’entreprise

« Depuis deux mille ans, l’esprit humain est fasciné par le paradoxe. Il l’est encore aujourd’hui » (Watzlawick). Le paradoxe est partout. Il a également su trouver sa place dans les organisations et les entreprises, dans lesquelles il prospère.  Petit tour d’horizon des paradoxes organisationnels…

Prise en compte du paradoxe dans l’entreprise

Depuis une trentaine d’années, les auteurs s’intéressent de près aux paradoxes dans l’entreprise : déjà en 1988, Cameron et Quinn en préface de leur livre rassemblant de nombreux auteurs autour du sujet, évoquaient le fait qu’en explorant le paradoxe dans les organisations, les chercheurs pourraient aller au-delà des notions simplistes et polarisées pour reconnaître la complexité, la diversité et l’ambiguïté de la vie dans les organisations.

Les entreprises par leur fonctionnement font naître de nombreux paradoxes : entre collaboration et contrôle, individuel et collectif, flexibilité et efficience, orientation profit et responsabilité sociale et solidaire…

Si la théorie de la contingence en management offrait déjà des pistes pour répondre aux tensions dans l’organisation, une théorie du paradoxe apporte un éclairage différent et plus à même de répondre aux nouveaux défis de l’entreprise. En effet, la théorie de la contingence insiste sur l’hypothèse de base que les organisations dont les structures internes répondent au mieux à la demande de l’environnement parviendront à une meilleure adaptation et donc à une meilleure efficacité. La théorie de la contingence implique donc une forme de choix, de sélection qui est faite parmi les différentes options ou demandes possibles, sélection qui est dictée par cet impératif d’adaptation.

L’approche par le paradoxe propose une autre façon d’aborder les tensions dans les organisations : c’est en effet une approche alternative puisqu’elle invite à réfléchir à comment l’organisation peut faire face à des tensions simultanées et irréconciliables : il n’est pas question de sélection, puisqu’elle est impossible. L’idée n’est pas de remplacer la théorie de la contingence par une approche paradoxale, mais plutôt d’y trouver un complément pour les problématiques les plus complexes.

Force est en tout cas de constater que la littérature sur le paradoxe n’a cessé de croître depuis l’ouvrage collectif de Cameron et Quinn (1988) : dans un ensemble grandissant de textes, les chercheurs ont depuis examiné le paradoxe sous toutes ses coutures, et décrit comment il se manifeste dans les organisations et au sein des équipes.

Comment définir les paradoxes organisationnels ?

La définition qui revient le plus souvent est la suivante : « Contradictory yet interrelated elements that exist simultaneously and persist over time » (Smith & Lewis). Cette définition fait apparaître deux composantes du paradoxe :

  • d’une part, des tensions sous-jacentes, ou dit autrement des éléments qui semblent logiques pris individuellement, mais qui réunis semblent inconsistants, voire même absurdes ;
  • d’autre part, des réponses qui tentent de prendre en compte ces tensions de manière simultanée.

Déjà Marianne Lewis (2000) soulignait que les tensions sous-jacentes au paradoxe pouvaient tantôt servir de levier pour le changement, mais pouvait également avoir des conséquences plus vicieuses : quand les acteurs dans l’entreprise essaient de résoudre les tensions paradoxales, ils peuvent être pris au piège dans des boucles de renforcement qui non seulement perpétuent, mais parfois exacerbent les tensions initiales.

Par ailleurs, ces tensions paradoxales peuvent aussi bien être inhérentes au système, à l’organisation, que socialement construites, c’est-à-dire vues comme paradoxales par les acteurs eux-mêmes, sans réel caractère objectif.

Les différentes sortes de paradoxes organisationnels

Les travaux de synthèse de la littérature existant sur le paradoxe permettent d’identifier quatre grandes catégories de paradoxes organisationnels :

1. Les “learning paradoxes” (apprentissage) surviennent le plus souvent quand le système change, se renouvelle, innove. Les tensions apparaissent entre l’ancien et le nouveau, et sur la manière d’aborder le changement : radical vs incrémental, épisodique vs continu.

2. Les « belonging paradoxes » (appartenance) renvoient aux concepts de complexité et de pluralité, notamment quand il s’agit de l’articulation de l’individuel avec le collectif. Un bon exemple est celui des entreprises qui prônent le travail collaboratif mais ne récompensent que la performance individuelle.

3. Les « organizing paradoxes » (organisation) visent les différentes méthodes d’organisation qui peuvent être à l’œuvre dans une entreprise. On retrouve encore la tendance difficilement conciliable à encourager à la fois la collaboration et l’esprit de compétition au sein de l’organisation ou des équipes. Un autre exemple est celui des gouvernances qui prônent l’autonomie, mais conservent un fonctionnement très directif.

4. Enfin, les « performing paradoxes » (performance) émergent quand il y a plusieurs parties prenantes, que ce soit internes ou externes, avec des demandes et des objectifs différents ou divergents. Le meilleur exemple est sans doute celui de l’économie sociale et solidaire ou encore de la dimension RSE des entreprises, où profit économique et dimension sociale doivent coexister dans les préoccupations des acteurs.

Un monde VUCA ?

On comprend que les organisations font face à de multiples paradoxes de toutes sortes, qui sont liées tant à leur activité propre qu’au contexte de complexité dans lequel elles évoluent. D’après Nathan Bennett et G. James Lemoine (2014), les organisations dans de nombreux secteurs d’activités ont adopté l’expression « VUCA » afin de décrire les problématiques auxquels elles font face : VUCA est l’acronyme de Volatility, Uncertainty, Complexity et Ambiguity (volatilité, incertitude, complexité et ambiguïté) et avait été créé à l’origine par l’Army War College aux Etats-Unis pour décrire les conditions résultant de la Guerre Froide : Volatility fait référence à la rapidité de changement dans l’industrie, sur les marchés et dans le monde en général ; Uncertainty renvoie à la difficulté de pouvoir prévoir le futur de manière confiante ; Complexity est lié au nombre et la variété des facteurs à prendre en compte dans chaque situation ; enfin, Ambiguity fait référence au manque de clarté sur la façon d’interpréter les évènements, et qui laisse une zone de flou.

Vincent de Gaulejac et Fabienne Hanique (2015) parlent d’une « société paradoxante », issue de l’interaction de différents processus (la révolution numérique, la révolution financière et la révolution managériale) qui, saisis de manière isolée mais également de manière combinée et systémique, contribuent à son émergence.

Par ailleurs, « la poursuite simultanée d’une logique de différenciation et de coordination au sein des organisations est par essence contradictoire et la littérature de gestion a depuis longtemps déjà mis la lumière sur un grand nombre de contradictions » (Guedri, Hussler et Loubaresse).

Comment agir et réagir face aux paradoxes organisationnels ?

Les paradoxes organisationnels impactent les entreprises, et assez naturellement les équipes qui y travaillent. Alors comment trouver un moyen d’agir, voire de réagir, face à ces paradoxes ?

Reconnaître, affronter, transcender : voilà sans doute trois pistes, si ce n’est trois étapes, à explorer pour y voir plus clair, un accompagnement étant sans doute le meilleur moyen de conduire ce travail efficacement. En effet, une personne extérieure au système que constitue l’entreprise ou l’équipe viendra avec une vision plus globale des situations et pourra ainsi proposer des directions nouvelles qui permettront de dépasser la contradiction à la racine du paradoxe.

En effet, reconnaître et prendre conscience du paradoxe et de ses implications, des tensions qu’il génère et entretient, permet déjà de stabiliser chacun autour d’une prise en compte des oppositions qui existent. Affronter ces tensions permet de devenir instantanément acteur dans la recherche de solutions pour dépasser le paradoxe (ou mieux vivre avec, d’ailleurs). La transcendance enfin suppose d’exploiter sa capacité à « penser de manière paradoxale » : Paul Watzlawick explique que la pensée de premier ordre ne permet pas aux acteurs de s’extraire des boucles de rétroactions, alors que la pensée de second ordre permet d’arriver à une perception plus aidante des opposés. Là encore, développer la pensée paradoxale est une compétence qui s’acquiert et se développe, que ce soit en formation ou en situation grâce à des accompagnements dédiés.

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